Interview et live Cradle of Filth with Moonspell

Interview et live Cradle of Filth with Moonspell

Interview et concert : Cradle of Filth (avec Moonspell)

C.C. John Lennon, Limoges

 

I – L’interview

            Dimanche 18 février. Ce jour, tant attendu et presque autant redouté, est arrivé. Lorsque j’ai commencé ma thèse sur la littérature dans la musique métal, j’ai tout de suite pensé qu’il serait intéressant, inspirant, et galvanisant, de pouvoir rencontrer des paroliers de groupes dont l’atmosphère est particulièrement imprégnée de littérature, afin de comprendre s’il s’agit seulement d’une façade ou si ce sont réellement des passionnés de livres, et comment ils procèdent pour « réécrire » des œuvres ou s’en inspirer.

            Dimanche 18 février donc, j’allais pour la première fois à un concert de Cradle of Filth à Limoges dont je me réjouissais depuis des semaines, et… je l’avais obtenue, mon interview ! Avec nul autre que Dani « Filth », parolier, fondateur et âme de Cradle, une sorte de monstre sacré tout droit sorti de mon adolescence (cf. l’article que j’ai écrit l’an dernier sur un extrait du dernier album, Cryptoriana http://stairway2hell.over-blog.com/2017/09/cradle-of-filth-achingly-beautiful.html), sur les ailes de sa voix tellement spéciale et fascinante. Un groupe totalement approprié, avec ses atmosphères victoriennes, ses références à l’Histoire, aux nouvelles macabres du 19ème siècle, et ses cortèges de figures littéraires et bibliques.

            En théorie, j’étais fin prête. J’avais mes questions, je connaissais le dernier album sur le bout des doigts et beaucoup d’autres choses sur le groupe, et j’avais travaillé mon anglais de manière intensive. Une fois la porte franchie en pleine balance de Cradle, je découvris l’envers du décor.

            Nous sommes au Centre culturel John Lennon. L’entrée est au niveau du balcon, puis, on s’enfonce dans la fosse. L’équipe des organisateurs français est réunie dans une petite arrière-salle en attendant que la balance soit terminée. Ils m’accueillent, fort sympathiques et curieux aussi. Lorsque le silence s’installe, indiquant la fin des ajustements son, un membre de l’organisation, sympathique prof d’anglais d’ailleurs, me mène à Matt, le Tour-manager de Cradle of Filth. Je me présente, « Attends quelques minutes à côté de la scène et je viendrai te chercher », dit-il. Le temps d’observer cette fourmilière fort masculine qui s’affaire autour de la scène, de la fosse et des coulisses, histoire de tromper mon angoisse… Matt revient me chercher et m’emmène dans une petite loge grouillant de monde et… de sacs de sports pleins de serviettes de toilette propres et pliées. J’entre, on essaye de me faire une petite place sur l’un des deux sofas noirs face à face qui occupent une grande partie de l’espace ; je plaisante, en anglais (merci prof pour tout le coaching !), sur ces piles invraisemblables de serviettes, et Matt me répond que ça vaut mieux pour mon odorat qu’ils aient autant pris soin de leur propreté !

            Quand soudain, Dani en personne, LE Dani, survient dans l’embrasure de la porte. Je lui tends la main : « Bonjour, je m’appelle Camille. – Je m’appelle Dani ! » Sans blague… Les personnes présentes quittent rapidement la pièce, sauf un technicien, barbu, chevelu et bien en chair, en train de laver un truc dans le lavabo du petit cabinet de toilette attenant… Un truc qui s’avère être le micro de Dani ! « …Ça fait des semaines qu’il crache dedans, il a bien besoin d’être nettoyé, plaisante-t-il. Tiens, et si je te mettais un peu de « fromage » [en français dans le texte] sur ton micro ?! – Quelle bonne idée, du camembert ! je renchéris. » On se marre, il nous laisse en tête à tête. J’explique l’objet de mon interview.

            Pour les premières questions, je regarde pas mal mes notes. Puis peu à peu, je me détends, j’improvise, je complète ses réponses. Il faut dire qu’il est simple, abordable, sympathique. Pas très grand, il s’enfonce dans le sofa en face de moi. Pour une fois il n’a pas de lentilles, juste ses yeux bleus. Hormis ces yeux, le léger fond de teint qu’il porte ne masque pas le fait qu’il n’est plus si jeune que cela. Et en même temps, dans son attitude ou sa tenue, j’ai l’impression d’avoir affaire à un adolescent. Un ado en tournée avec sa bande de potes. À aucun moment il n’a un regard ou une parole déplacée envers moi. Très respectueux, il ne s’engouffre pas dans l’espace que mon ton détendu aurait pu ouvrir. Presque… un peu timide ?

            De quoi parle-t-on ? Les questions sont directement liées à ma thèse, c’est pourquoi je ne ferai pas la transcription complète ici, mais voici quelques échantillons parlants :

« Moi : Pourquoi utiliser du latin et du grec ancien dans tes textes et tes titres de chansons ?

- Dani : Ça s’accorde super bien avec l’atmosphère de ma musique.

- Moi : Tu connais le latin et le grec ?

- D. : Non, pas vraiment, malheureusement… Mais des chœurs en latin sur un morceau… Ça sonne trop bien ! […]

- Moi : Pourtant, le métal ne se veut-il pas contre-culturel ? [...]

- D. : Dans les années 80, 90, une partie du métal était mainstream. Les gens pensaient que le métal se résume à des chansons sur le sexe, les femmes, les bagnoles, mais au moins on en entendait à la radio. Aujourd’hui, tu sais, les radios ne passent plus que du Ed Sheeran.

- Moi : Oui… je sais. *Soupir*

[…]

- Moi : Et concernant la « keulteur » de tes auditeurs ?

- D. : Pardon… la quoi ?

- Moi : « keulteur » ? « kulteur » ? « cultur » ? *Grimace*

- D. : Ah ! La culture !

- Moi : Oui ! Est-ce que tu veux que les gens qui t’écoutent partagent la même « mot-que-je-n’arrive-pas-à-prononcer » ?

- D. : C’est une bonne chose, mais ce n’est pas obligatoire. J’aime l’idée que certains iront s’intéresser à des œuvres, des bouquins dont je parle, après m’avoir écouté.

- Moi : Ok, donc en tant que prof de lettres, je vais conseiller à mes élèves d’écouter plus de Cradle of Filth !

*Rires* […] »

            Après vingt minutes, je le remercie d’avoir répondu à toutes mes questions. Je lui offre un bouquin dont je pense qu’il lui plaira, une traduction anglaise des Diaboliques de Barbey-d’Aurevilly. Très approprié. Visiblement, ça lui fait sincèrement plaisir. Il va le ranger en lieu sûr tandis qu’il cherche quelqu’un pour nous prendre en photo ensemble (saut de joie intérieur). Il revient avec Matt, qui mange une banane – « Tu vas vraiment mettre tes doigts pleins de banane sur mon téléphone ? je lui lance. » Ambiance détendue, je vous ai dit. D’ailleurs, après deux photos sérieuses, Dani et moi faisons des grimaces chacun notre tour…

            « Une dernière chose… J’ai vraiment hâte de voir le concert. Et j’adore ton high scream*, dis-je à Dani. – Oh ! tu adores son ice cream ? relève Matt hilare. – Bien sûr que non, j’ai mal prononcé… Hhhhigh scream ! » Dani me remercie, « à ce soir, alors ! » sans même relever la grivoiserie. Très classe.

 

II – Le concert

            Après une attente plus longue que prévue, le concert arrive enfin. Moonspell fait la première partie : les membres de ce groupe portugais sont très proches de ceux de Cradle, m’a confié Dani : ils ont le même âge, ont baigné dans la même culture… Pourtant, leur musique est assez différente – et leur imagerie, radicalement ! La scénographie de Moonspell est pleine de crucifix (dans le bon sens !), le claviériste a une déco imitation orgue sur son instrument : ambiance pirates catho inspirés. Le chanteur, un grand gaillard, est charismatique. Il investit l’espace. Il s’amuse bien avec son accessoire favori : un crucifix de quarante centimètres de haut avec un faisceau laser pour éclairer le public… moment mythique ! La musique est carrée, la voix rocailleuse. Là aussi, il y a du latin. Parfois, les textes sont en portugais : c’est sympa. Le chanteur nous raconte l’Histoire (avec un grand H) de ses titres avec passion, dans un français plutôt correct. On se laisse porter par leur énergie, on lève le poing avec eux, en rythme.

            L’entracte est long, je trépigne d’impatience. Je sais déjà que ce sera différent, inédit, de voir Cradle sur scène après avoir eu cet entretien plaisant avec Dani. J’y crois à peine. Pourtant, cela arrive, et je me sens carrément privilégiée. Autour de moi, les gens sont dingues de lui – ils ont bien raison. Il a beau être plus petit que le géant de Moonspell, avec son accoutrement tout en cape noire en lambeaux, énormes New Rocks*, croix inversée cette fois, son visage au maquillage blanc, rameaux noirs dessinés autour des yeux, il est fascinant. Mais ce qui est encore plus impressionnant en live, ce sont ces voix qu’il produit. La profonde, inquiétante, la râpeuse quand il chante rapidement, parlant presque, et ce cri aigu, ce high scream* qui me transperce, qui me met en transe… grandiose !

            Le duo de guitaristes zombies est très convaincant – flippant. Richard Shaw, le regard fixe, les yeux cernés, a vraiment l’air possédé ! La présence féminine de la claviériste sur scène apporte de la douceur, de l’élégance, même si ses interventions vocales ne sont pas toujours justes. Les blast beats* nous portent inlassablement.

            Je croise le regard de Dani au bout de quelques minutes, et il me fait un signe. Incroyable. Il porte des lentilles intégralement noires, cette fois – troublant. Le show mêle parfaitement les titres du nouvel album, que je trouve excellent, « Heartbreak and Seance », « You will know the Lion by his Claws », et des morceaux plus anciens comme le célébrissime « Nymphetamine (Fix) », que je ne pensais pas entendre ce soir, après tant d’années. Je ne vois pas le temps passer, complètement possédée par cette musique diabolique !

            Au moment de jouer « Bathory Aria », un morceau qui parle de la Sanglante Comtesse hongroise Elizabeth Bathory, Dani le dédicace aux « très belles femmes que vous avez en France ». C’est bête, mais je suis touchée. Quelques mecs pas très finauds huent. « Quoi, vous n’êtes pas d’accord ? s’étonne-t-il. Eh ben, putain ! » Merci, Dani. Vraiment très classe.

 

*Lexique pour Maman :

- high scream : littéralement, cri aigu (saturé).

- New Rocks : marque de chaussures portées particulièrement par les black-métalleux, en cuir noir à semelle compensée, montantes voire bottes, très imposantes, bardées de fer.

- blast beat : technique de batterie qui enchaîne les doubles-croches à un tempo élevé, donnant une impression de saturation du rythme.

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