Dagoba (+ Working Klass Heroes) au Vinochope Perpignan

Dagoba (+ Working Klass Heroes) au Vinochope Perpignan

            Parfois, la vie vous réserve de bonnes surprises. Par exemple, un jour on vous annonce que Dagoba va se produire à Perpignan, dans un bar nommé le Vinochope où vous n’êtes jamais allée mais dont vous avez entendu parler par une collègue un peu hippie. D’abord incrédule, craignant un canular, vous vérifiez sur la page de ladite cave à bière et il s’avère qu’il s’agit bien de l’authentique Dagoba, groupe death*/groove* metal de Marseille habitué des gros festivals.

            Bien entendu, j’ai aussitôt acheté mes places.

         Le soir venu, je me gare dans une petite rue pavillonnaire à quelques pas du Vinochope, petit entrepôt en zinc coincé entre carrossiers et détaillants d’articles divers à cette heure endormis, hormis un magasin pour motards qui offre une bienvenue nocturne pour l’occasion. Malgré des dehors industriels, des voix et des lueurs animées parviennent depuis ce qui semble être une terrasse attenante à la cave. En attendant l’ami qui partagera cette soirée avec moi, dans l’inhabituelle fraîcheur nocturne de ce 29 septembre à Perpignan, au fil des groupes qui entrent, j’ai la sensation de retrouver ma horde.

           Avec mon comparse, après un tour des lieux guidé par la curiosité, nous profitons d’une bonne bière sur cette terrasse où dominent les mâles blancs de vingt à vingt-cinq ans, mais dont ne sont pas absents quelques couples d’anciens, quelques adolescents et de petits groupes de filles d’une vingtaine d’années, toutes et tous arborant des indices de leur allégeance à la tribu métal. Je reconnais certains visages, entrevus ici et là depuis un an que je suis revenue aux sources pyrénéennes.

         La salle de concert est éminemment modeste : deux tréteaux au fond pour le merch’*, un bar qui court tout le long du côté droit où l’on confie ses hardes sans s’acquitter du moindre écot, et au centre, un espace qui peut accueillir, quoi, cent personnes debout ? Nous serons soixante-dix tout au plus. C’est étrange de concevoir qu’un groupe qui a généré l’un des plus grands wall of death* jamais enregistrés se tiendra là dans quelques instants, à portée de main, trop grand pour ce petit lieu mais peut-être aussi moins dépaysé.

          Les jeux s’ouvrent avec un groupe local, Working Klass Heroes, dont je n’ai jusqu’alors entendu que le nom. C’est une tâche ardue que de faire découvrir une musique aussi saturée en concert, qui plus est dans un lieu peu équipé, et pourtant après quelques morceaux je reconnais que leur énergie mâtinée d’électro et portée par la voix grasseyante du vocaliste parle à mon oreille. Entre les titres, des messages engagés et pessimistes, façon punk, qui collent à des titres comme « Work Suicide » ou « Fist of Hunger », dont la fin déchirante est le signal pour me jeter dans la fosse que je ne quitterai presque plus jusqu’à la fin du concert. Plus de légèreté pour le travaillé « Faith and Spank », tout en nuances vocales et rythmiques. Fait rare, après réécoute ultérieure, je peux affirmer que Working Klass Heroes est un groupe qui sonne mieux en live que sur album. Profitons-en !

           Après un entracte dans l’humidité bienfaisante de l’arrière-cour, où les corps des jouteurs, dont je suis, déjà trempés de sueur, s’oxygènent et s’hydratent d’une petite bière de plus, les reconnus Dagoba entrent en scène en toute simplicité. Leur joie de partager ce moment quasi familial dans une région à l’accent tout aussi chantant que le leur est palpable et non feinte. La qualité et l’intensité sonores montent d’un cran. Certes, on ne peut apprécier de façon méthodique la précision de chaque double-croche abattue, la finesse des tessitures contrastées de Shawter et les épiques jeux mélodiques et orchestraux des guitares et claviers dans ce type de salle, mais l’implication, l’empathie, l’électricité qu’ils véhiculent sont là devant nous – on pourrait même les toucher.

            « Stone Ocean » me colle des frissons tout le long de la colonne vertébrale, agitée continuellement de headbangs* à l’unisson de mes partenaires de fosse. Mon genou a heurté l’impitoyable sol en béton au premier mosh* mais je le sens à peine. Mon ami du Nord n’a pas pu résister non plus à l’appel du pit*. Mes cheveux longs sont uniformément trempés, l’atmosphère est embuée de chaleur et d’énergie brute. La musique décide pour nous à chaque instant : bombardements tribaux nous enjoignant à un mosh épaule contre épaule, chant saturé rageur et rythmé qui nous fait bondir sur place, nappes orchestrales planantes et longues notes claires pour un instant de répit. Quelques passages rapides et plus enlevés nous entraîneront dans un circle*, tandis que Shawter nous commande à plusieurs reprises, au seuil d’un morceau, la formation wall of death*.

            Un wall of death* à vingt ou trente, me direz-vous. Peu importe, les provocations ludiques des deux camps qui se font face n’en sont pas moins convaincantes, l’adversaire est même bien plus proche et distinct. Je ne suis pas en reste lorsqu’il s’agit de crier barbarement son défi avant l’incroyable décharge d’adrénaline provoquée par cet instant avant l’impact – qui a d’autant plus de sel pour moi que je suis l’une des deux uniques représentantes de mon sexe « faible ».

            De concert en concert, je note l’inclusion devenue quasi parfaite à notre égard. Je m’engage dans des duels singuliers à plusieurs reprises contre des chevelus, torses nus, qui me dépassent d’une bonne tête, mais dont les larges bras apprécieront l’attaque pointue de mes petites épaules. Les mains qui poussent dérapent sur des peaux glissantes de sueur, la tradition rugbystique s’en mêle et s’emmêle, Dagoba nous échauffe plus encore et au son mémorable de « The Things Within », nous terminerons le combat, comme toujours, par une reconnaissance ponctuée d’accolades fraternelles.

            Entraîné dans ce rituel, le philosophe Denis Moreau a écrit :

Je m'abandonne, avec les autres, au rythme, à la trépidation des basses qui me saisit et me guide, à l'adoption joyeuse d'une pulsation venue du dehors, épousée sans qu'elle constitue une contrainte et qui exhausse ma vie à un niveau insoupçonné...

Denis Moreau, Philomag

            Je ne saurais dire mieux.

Working Klass Heroes en première partie

Working Klass Heroes en première partie

*Lexique pour Maman :

- death (-metal) : sous-genre de métal extrême caractérisé par la brutalité de l’exécution et des thématiques, la rapidité du tempo et un chant saturé guttural, grave.

- groove(-metal) : Sous-genre du métal qui joue sur les variations et le relief rythmiques et propose des paroles engagées.

- merch’, merchandising : stand de produits dérivés du groupe ou du festival présent lors d’un événement.

- wall of death : pratique qui consiste à séparer la foule en deux pendant un concert, puis, sur un signal, les deux côtés courent l’un vers l’autre, vers un impact qui se termine généralement en mosh pit.

- headbang, headbanger : secouer la tête (et les cheveux) de haut en bas devant soi, en écoutant du métal.

- mosh pit (mosher, mosheu.r.se) : proche du pogo, « danse » musclée qui se forme dans un cercle à quelques mètres de la scène, où les participants se jettent épaules et bras en avant, les uns contre les autres.

- pit : en anglais, fosse. Désigne la partie du concert où le public est debout en face de la scène, et souvent, plus précisément, la zone proche de la scène où ont lieu les mosh pits et autres circle pits.

- circle pit : sorte de ronde effrénée où l’on court en cercle en se poussant légèrement, souvent dans la même zone que le mosh pit, parfois dans une zone plus étendue du public d’un concert.

Shawter (Dagoba)

Shawter (Dagoba)

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