Lord Shades – The Uprising of Namwell (or a Tale of Retribution)

Artwork de l'album

Artwork de l'album

« Yet led astray by despair and hatred, Lord Shades
Finds himself encircled alone amidst foes.
Alone, alone, alone, so alone. »
[Mais égaré par le désespoir et la haine, Lord Shades / Se retrouve encerclé, seul au milieu des ennemis. / Seul, seul, seul, si seul.]

Lord Shades, The Revenge of Namwell

            Me voici de retour en 2019 avec une nouvelle chronique dans mon escarcelle. Meilleurs vœux, mes chers lecteurs et lectrices.

            Il est temps d’évoquer les généreux Lord Shades qui, non contents de m’offrir un peu de leur temps et de leurs secrets pour faire avancer ma thèse, me récompensent aussi d’un exemplaire de leur album autoproduit : The Uprising of Namwell (2017).

            Ce cadeau me frappe d’abord par sa beauté visuelle. Le graphisme de Stan-W Decker oscille entre les univers du Seigneur des Anneaux, de Jérôme Bosch et de Gustave Doré, réhaussés par d’intenses couleurs violet profond et orangé et des jeux de transparence spectrale.

            En prenant quelques instants pour se renseigner sur le site du groupe (https://www.lordshades.com/), et, pour ma part, au travers des explications qu’ils m’ont fournies, on découvre que cet album évoquant « Le Soulèvement de Namwell, ou Conte du Châtiment » est le dernier volet d’une trilogie narrative… et peut-être le plus noir. Son héros Lord Shades a basculé dans l’Ombre et « sème la terreur sur son passage », dans les trois mondes qui composent cet univers fantastique, Meldral-Nok, terre du Mal, Firë-Enmek, terre des hommes, et Namwell, terre du Bien. Un coup d’œil sur les titres de l’opus nous laisse espérer une lueur d’espoir finale (« The Awakening », « A New Dawn »**), parce que l’on s’y laisse prendre, à cette saga !

            Mais c’est aussi un bijou auditif, où il semble bien que chaque morceau soit meilleur que le précédent. Comme un clin d’œil, l’introduction instrumentale porte le nom d’une nouvelle bien connue de Lovecraft, « Beyond the Wall of Sleep ». Outre les arpèges à la guitare suivis d’orchestrations solennelles, on y entend en fond tout un monde d’hommes, de chevaux, de civilisations. Cette idée originale, figurer un microcosme dans l’écrin d’un album musical, revient comme un leitmotiv dans la conception que s’en fait Alex, compositeur et vocaliste du groupe. C’est ainsi que résonnent les notes de guitare aux accents flamenco à la fin de cet alléchant prélude.

            « Nightly Visions » rompt la douce mélancolie où nous étions plongés par son tempo dynamique, tout en ménageant une continuité thématique – nocturne – et chromatique. Le growl* caverneux du vocaliste impose un cadre solide à l’ensemble, détachant avec maîtrise chaque syllabe. Le morceau se clôt sur les bruits d’un massacre précédé d’un cor funeste. Nouvelle escalade dans l’énergie dégagée avec une batterie cavalante au début du morceau « The Dark Host ». Les alternances rythmiques sont nombreuses et les riffs* efficaces, la voix se perd dans de menaçants grondements. Peu à peu, la saturation s’allège jusqu’à laisser audibles des percussions mandingues, djembé, cloche de dumdum et crécelle, nouvelle incursion dans un ailleurs musical, suivie d’un autre intermède de bruitages semblant narrer les pas inquiétants d’un être nocturne dans le couloir de pierre d’un château, désert à l’exception des rongeurs et des chauves-souris. Peut-être que je délire mais moi, c’est ce qui passe distinctement devant mes yeux à ce moment.

            La scène assure la continuité avec le morceau suivant, « The Gift », où les pas résonnent encore sur une intro réussie, superposant voix gutturale semi-murmurée et deux guitares aux tonalités très distinctes. Après deux minutes, le morceau se lance avec énergie et une complexité rythmique aux accents prog*. Le solo de guitare à la quatrième minute est aussi décoiffant que lancinant. Des chœurs viennent ensuite apporter une profondeur épique au morceau, avant un break* tonique à la basse. La suite est profondément angoissante : une voix grave parle, couvrant à peine les cris de douleur et de terreur d’une femme (?) qui se perdront dans l’atmosphère venteuse de la clôture du morceau. On atteint là une intensité, une variété et une qualité un cran au-dessus des morceaux précédents. Elles ne retomberont pas.

            « Woe to Thee (Vae Solis) » est l’un de mes morceaux préférés, mais je manque peut-être d’objectivité. Ça commence typiquement comme un morceau de black* bien lugubre et pesant ; les voix s’entremêlent comme des souffles. Au milieu du morceau, la lumière surgit sous la forme de voix féminines angéliques, en anglais entremêlé de latin. Elles déchirent le voile du désespoir pour annoncer l’issue du titre suivant. Le morceau atteint son apogée lorsque la voix gutturale d’Alex s’y joint en contrepoint.

            Les lyrics* de cette création méritent que l’on s’y penche, car ils sont très recherchés. C’est particulièrement vrai sur « The Revenge of Namwell » où ils endossent un véritable récit, celui de la bataille opposant Lord Shades et son armée des ténèbres aux combattants de la lumineuse Namwell. Là encore, le latin (« Ardentes acies ad tenebras… »***) confère au récit une puissance incantatoire, balancée par les images les plus crues dans un anglais aux sonorités marquées : « Heads hewn, skulls split open, crazed by the smell of gore »**…

            « The Awakening » offre un contraste extrêmement plaisant dans l’univers de l’album. L’association du métal à la musique arabe n’est certes pas inédite, mais ici, dans un univers death/black à la française mâtiné d’heroic fantasy, c’est inattendu : cela laisse envisager l’ouverture musicale et culturelle du groupe, et de nombreux possibles pour les albums à venir. Le chant en arabe algérien est superbe, il fait entrer un soleil aveuglant dans les nappes d’ombre de l’album. Inévitablement, ce mélange m’évoque des groupes comme Orphaned Land mais l’ADN de Lord Shades est toujours là, plus ou moins en retrait suivant les phases du morceau.

            …Et l’album s’achève – mais peut-on dire qu’il s’achève ? il entame ici un chapitre à part entière plutôt – sur le monumental « A New Dawn », un chef-d’œuvre à lui tout seul, et une sorte de cosmogonie indépendante, avec une diversité de voix, de bruits, de tempos, mais un leitmotiv musical envoûtant. D’une durée de presque seize minutes (!), il est subdivisé en cinq mouvements et fait la part belle aux chœurs en latin, quasi spirituels. On retrouve une voix féminine cristalline et les vocaux d’Alex en fil conducteur. « How darest thee betray me, thy Master ?** » L’anglais est archaïque à souhait, naturellement. Et le français caresse notre oreille… oui, il y a aussi du français, narré dans un abîme au cœur même du morceau. Et après tout, à un moment, il faut que je m’arrête de décrire, parce que ça ne se fait pas de raconter la fin, parce que les mots peinent à dire la richesse du métal, et j’ai rassemblé ici assez de compliments pour toute l’année 2019 même si, dans un souci d’objectivité, j’aurais aimé trouver une critique à formuler.

Lord Shades

Lord Shades

* Lexique pour Maman :

- growl : chant saturé et guttural grave utilisé dans le métal (death notamment).

- riff : Motif musical joué par la guitare qui est à la base d'un morceau de métal.

- « prog », ou progressif : Sous-genre du métal qui pousse à l’extrême la complexité rythmique et l’expérimentation technique.

- break : (littéralement « coupure ») Section ou un interlude instrumental dans un morceau, interrompant le flux de celui-ci.

- black(-metal) : sous-genre de métal extrême caractérisé par la rapidité de la batterie, une atmosphère sombre, souvent sanglante et occulte voire satanique, et un chant saturé en voix de tête.

- death (-metal) : sous-genre de métal extrême caractérisé par la brutalité de l’exécution et des thématiques, la rapidité du tempo et un chant saturé guttural, grave.

 

** Traductions de l’anglais :

The Awakening : Le réveil ; A New Dawn : Une nouvelle aube.

Heads hewn, skulls split open, crazed by the smell of gore : Têtes taillées, crânes ouverts en deux, rendu fou par l’odeur du sang.

How darest thee betray me, thy Master ? : Que toi, ô mon maître, tu osasses me trahir ?

 

*** Traduction du latin :

Ardentes acies ad tenebras : Les armées brûlantes vers les ténèbres…

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