Aephanemer - Prokopton
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Chers lecteurs, voici une nouvelle étape pour mon blog…Vous lisez ma première chronique « pro » ! Cette fois, le groupe Aephanemer m’a proposé de chroniquer son album, Prokopton, AVANT sa sortie le 22 mars prochain. Je vous prête donc mes oreilles en attendant cette date, et voici ce qu’elles vous disent…
Je suis forcée d’avouer que je ne connaissais pas ce groupe français de death mélodique* avant que leur sympathique fondateur Martin n’entre en contact avec moi. Prokopton est précédé d’un album full-length* en 2016, Memento Mori, et d’un EP*, Know Thyself : il m’est donc aisé de me plonger dans l’intégralité de leurs créations pour mieux les appréhender. Très vite, je suis saisie par une impression d’évidence et, dirais-je presque, par le regret de ne pas les avoir entendus plus tôt.
Quelle continuité séduisante, d’abord, dans les titres de ces trois opus : l’allusion à Socrate avec Know Thyself** (Γνῶθι σεαυτόν…), l’injonction romaine puis chrétienne Memento Mori et la référence à la philosophie stoïcienne avec Prokopton, celui qui progresse… Un métal résolument philosophique, donc ? Ça me parle. Les artworks* éthérés, colorés et hypnotiques, assez éloignés de l’imagerie sombre à laquelle notre genre nous a habitués, semblent également mener à la sagesse, à la réflexion. Celui de Prokopton, réalisé par Niklas Sundin (Dark Tranquillity*), plus que tout.
Aephanemer, c’est un groupe qui réalise une parfaite mixité (deux femmes, deux hommes) sans en faire tout un plat. Parce que le chant saturé, qui abolit le timbre de voix, est fondamentalement asexué – et Marion le fait très bien. Même quand elle chante en voix claire, sur un passage de « The Oathworn » (Memento Mori) ou de « Snowblind » (Prokopton) par exemple, sa voix est chaude et prophétique.
Aephanemer, c’est cette musique à la fois épique et lumineuse, qui vous donne envie d’aller au combat pour ne jamais en revenir. Avec Prokopton, le groupe a poussé la propreté sonore du mixage à un niveau encore plus élevé que sur l’album précédent. La voix saturée s’étend en longues traînées, l’instru est dense, presque ininterrompue, les guitares et le clavier racontent chacun une histoire différente, la batterie ne semble jamais lassée, mais tout cela se superpose distinctement dans notre oreille et fait sens.
Oui, Aephanemer, c’est du death mélodique*, parce qu’on y trouve une voix musclée sur un rythme enlevé, parce que les accents pagan* sont bien là, dans les riffs* de guitare de l’instrumental « At Eternity’s Gate » par exemple – qui nous propulse aux portes d’Asgaard par la force d’évocation de sa mélodie –, mais c’est aussi plus que cela. L’ensemble a une touche singulière, unique – une french touch, dirait le chauvin dans une récupération un peu facile – et je ne crois pas m’avancer beaucoup si je vous dis que désormais, je serais capable de les identifier immédiatement en entendant un de leurs titres pour la première fois.
Probablement, cette singularité se niche-t-elle dans l’utilisation des claviers. Le groupe n’a pas de claviériste propre, c’est Martin qui s’en charge humblement, mais la manière est brillante. L’utilisation de cet instrument est beaucoup plus présente que chez les autres groupes de death mélo* que j’ai pu écouter. Ce synthé vous enveloppe littéralement, vous donne une sensation de continuité d’un bout à l’autre de l’album. Sur l’initial « Prokopton » il y a ce contrepoint mélancolique du clavier sur la guitare qui vous ramène en permanence vers le passé, tandis que la rythmique percu/basse vous propulse en avant, instinctivement.
Ne manquez pas le caractère plus sombre, plus rapide aussi, de « The Sovereign ». Et les passages au clavier, une fois encore, y sont épiques à souhait. Peut-être, s’il faut lui reprocher quelque chose, cet album a-t-il quelque chose de trop homogène, qui rendrait un certain nombre de morceaux indistincts les uns des autres – et l’on attendrait, sur un prochain opus, le titre inattendu par son rythme ou son registre qui romprait avec l’ordre établi – mais indistinct dans le bien, c’est toujours bien.
Un mot sur les textes, qui sont de la vocaliste : en anglais, ils respectent un schéma de rimes régulier, sur des quatrains ou tercets. Arrêtons-nous plus particulièrement sur les paroles de « Snowblind » :
Twisted in human face
Utters cries of disgrace
The fury's torch
Melts the surrounding snow
And clears the path to follow**
Les images frappantes forment une véritable hypotypose, inspirée de créatures mythologiques du Tourment, Harpie et Furie ; des images de Game of Thrones surgissent malgré moi devant mes yeux face au paysage enneigé désertique qu’elles dépeignent.
L’album se clôture en beauté ; « Bloodline » commence avec originalité, dans une sonorité quasi électro. Les claviers, encore eux, sont d’une évidence séduisante et délicieusement addictive, soutenue par une batterie à la rythmique variée et intense, décidément irréprochable. C’est là, si vous en doutiez encore, que l’adjectif mélodique dans leur dénomination générique prend tout son sens. Même la « facile » montée à la tierce de la dernière phrase musicale est ce plaisir coupable que vous ne vous refusez pas.
Et puis, il y a le bijou « If I Should Die », mon ultime coup de cœur – s’il n’en fallait qu’un. Il y a tout dans ce morceau.
Worth my lifetime
How would I deem what I lived for
If I should die?
The toil must be done
Days are passing by
But tomorrow might be the last one
And I shall die.**
Ces premières strophes sont écrites comme une ballade médiévale, avec le retour lyrique du vers court en fin de strophe. Un petit air d’Amon Amarth* sur les premières mesures, et puis c’est vraiment Aephanemer. Le clavier, les guitares, clavier-guitares mêlés, toujours. Je nous vois déjà, en live, la main sur le cœur ou le poing levé à l’unisson sur les premières notes, puis entamant un salvateur mosh pit* sur le rythme tournoyant du refrain. Épique. Baroque aussi, par instants, sur ces cascades de gammes. À la septième minute (le morceau en compte neuf, une vraie composition), on croirait une marche funèbre, mais les guerriers se relèvent pour livrer leur dernière bataille, et puis il faut bien que ça se finisse même si on ne le voudrait pas, alors la dernière note du morceau retentit, éclatante et sans fioriture, comme toutes les fins de morceaux de cet album d’ailleurs, et on se dit : « If I Should Die »… I wish it would be on this very music.**
*Lexique pour Maman
- death mélodique : sous-genre né en Scandinavie, dérivé du death metal, qui en conserve le chant saturé grave et la brutalité mais l’adoucit, comme son nom l’indique, par des mélodies très audibles, voire accrocheuses.
- full-length (album), EP, single : Album de musique de longueur standard, par opposition aux "single" avec un ou deux titres ou aux "EP" (Extended Play), entre les deux.
- artwork : Création artistique illustrant un album.
- pagan(-metal) : littéralement « métal païen », sous-genre du métal qui inclut les instruments, légendes et thèmes du paganisme (principalement nordique) en les valorisant.
- riff : Motif musical joué par la guitare qui est à la base d'un morceau de métal.
- Amon Amarth : groupe de death mélodique suédois très populaire, né au début des années 1990 (aux débuts de ce sous-genre).
**Traductions de l’anglais :
- Know Thyself : « Connais-toi toi-même »
- extrait de « Snowblind » (Aveuglé par la neige) : Le rire de la harpie / Tordu en un visage humain / Exprime des cris de honte. // La torche de la furie / Fait fondre la neige alentour / Et dessine le chemin à suivre.
- extrait de « If I Should Die » (Si je devais mourir) : Illusion ou valeur, ma vie entière / Comment jugerais-je ce pour quoi j’ai vécu / Si je devais mourir ? // Le labeur doit être accompli / Les jours s’écoulent / Mais demain pourrait bien être le dernier / Et je vais mourir.
- « If I Should Die »… I wish it would be on this very music.: « Si je devais mourir »… je voudrais que ce soit justement sur cette musique.