Chronique à deux mains gauches - Hellfest 2019
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Voici une chronique qui a maturé, dirait celle qui cherche à justifier un reportage « live » servi trois mois après l’événement… Il faut dire que la cuvée 2019 était exceptionnelle, ça ne se narre pas à la légère !
Pour moi, cela débutait avec ma première conférence internationale des Metal Music Studies au Lieu Unique à Nantes, l’occasion de communier avec pas moins de soixante-dix autres fêlés du monde entier qui ont choisi d’allier métal et recherche universitaire ! Une semaine de rencontres et de conférences du plus grand cru. Le weekend venu et des contacts plein l’agenda, je reverrai mes nouvelles connaissances avec grande joie, au gré du hasard ou des rendez-vous donnés, dans les allées du festival – des festivals, en réalité.
[Nourritu’] Tout au long du Hellfest, et qui plus est enrichi d’un jour de Knotfest, il fallait bien… Boire ? Oui, mais surtout de l’eau sous peine de déshydratation, et parce que la musique a suffi à nous enivrer. Se laver ? Oui, aussi, et heureusement que tout le monde y est passé car chaleur et proximité auraient pu donner lieu à un véritable cauchemar olfactif. Nous passerons sur la longueur des files d’attente pour les douches, la température et le débit de l’eau, d’autant plus qu’en tant que easy campeuses* (oui, oui, on sait, c’est pas « true », mais qu’est-ce que c’est bien pour être à fond tout au long du festival !), ces éléments restaient dans la limite du raisonnable. Tout ça pour en venir à mon véritable sujet : manger ! Une source bi-quotidienne de discussions animées, récurrentes, alléchantes, de questions chaque jour réitérées : « t’as envie de quel genre ? », « on va au même ou on se sépare et on se donne un point de rendez-vous pour manger ? », « il faut qu’on ait fini à quelle heure pour le prochain concert qu’on veut voir ? », « on essaie de trouver une place à l’ombre dans la forêt ? », « pourquoi la file de ce resto est plus petite que les autres ? On tente, du coup ? », « il y a une file pour commander et une pour prendre son plat ou c’est la même pour les deux ? », « attends, non mais la file en fait elle commence tout là-bas ! ». Vous l’aurez compris, bien que les stands de nourritures soient ouverts du matin au soir, il y avait toujours du monde. Petite suggestion pour l’an prochain : faire venir plus de vendeurs de hellfood ! Mais une fois la file patiemment remontée, le repas payé d’un coup de poignet, la foule traversée, les dormeurs de la forêt enjambés et les fesses posées sur notre drapeau pirate dans un petit coin d’ombre… Quel festin ! Honnêtement, il me semble que nous n’avons jamais été déçues par nos repas, quel que soit le pays d’où ils venaient (Liban, Japon, USA, Italie, Hongrie…), leur « copieusité » (on a parfois eu peur d’avoir faim après et, en fait, non), leur prix (jamais donné mais pas de sensation de s’être fait rouler dans la farine (de pois chiche, de riz, de blé…) non plus!). Au passage, nous avons noté quelques nouveautés dans la décoration et l’organisation du coin repas « principal » : une fontaine à bancs au milieu pour rafraîchir tout ce beau monde affamé ou enfin repu, dans le design habituel, des sortes de poutres, avec juste la place de poser une assiette pour manger debout (pratique pour gagner de l’espace mais… encore debout ! Ayez pitié de nos voûtes plantaires, même si la pitié n’est pas très « hell »!), et surtout, enfin ce qui m’a fait beaucoup rire en tout cas, des fourchettes géantes aux dents pliées pour former, devinez quoi, les cornes du diable ! Jusqu’au bout les décorateurs, architectes et designers en tout genre du Hellfest ravissent nos yeux avec humour parfois, grande créativité et talent incontestable souvent, ce qui participe évidemment grandement de l’ambiance si particulière régnant en ces lieux.
Même si l’annonce – tardive et onéreuse – m’en avait paru un peu amère, il faut dire que le Knotfest d’un jour, avant le Hellfest proprement dit, avait une affiche des plus alléchantes. J’avais saisi l’occasion de ce jeudi éphémère pour faire découvrir, cette année encore, l’univers d’un festival métal à des quasi novices. Réactions partagées entre ivresse et overdose, mais impossible de rester indifférent à l’expérience !
[Sabaton] Si un groupe a bien marqué le Hellfest 2019, pour leurs fans (dont nous faisons partie) mais aussi pour ceux qui ne les appréciaient pas plus que ça, c’est Sabaton ! Tout d’abord, côté fans, ils ont su nous surprendre (voire nous émouvoir, si, si!) dès leur concert lors du Knotfest, avec la présence sur scène d’un chœur composé d’hommes en uniformes militaires de toutes nationalités, hommage très sabatonesque à ceux qui ont combattu pour leur patrie (bon, sur ce point, chacun ses convictions, les miennes ne concordent pas totalement). Il n’empêche que ce chœur, ajouté à la voix puissante et grave de Joakim Brodén et aux powerfull mélodies et rythmiques envoyées par les musiciens (le « powerfull » c’est pour ne pas répéter « puissante », vous l’aurez compris, mais pour ma défense, je dirais que c’est l’adjectif le plus adapté à ce groupe donc dur dur de ne pas être redondante), bref, tout ceci nous a donné des frissons et la sensation de faire partie de la plus belle armée qui soit, celle des défenseurs et des adorateurs de la musique metal ! J’en fais un peu trop ? Peut-être, mais eux aussi ! Car ce qui a véritablement marqué les esprits cette année, donc, c’est leur DEUXIÈME concert, eh oui ! Il se trouve que la tête d’affiche du vendredi soir (si vous avez bien suivi le lendemain du Knotfest, donc le lendemain du concert où les membres de Sabaton ont donné tout leur sang et leur sueur à leur public) le groupe Manowar a annulé dans la journée son concert, pour des raisons, sinon obscures, du moins décevantes pour leurs fans et rageantes pour les organisateurs du festival. Ces derniers se retrouvaient avec un trou, que dis-je, un gouffre, dans leur programmation. Que faire ? Trop tard pour faire venir un autre groupe (qui plus est, à la renommée aussi grande), difficile de dire aux festivaliers d’en profiter pour lire un bon bouquin… Et c’est là que nos chers membres de Sabaton entrent en scène : un pied posé sur le strapontin de l’avion qui devait les ramener chez eux (bon, là, j’en rajoute, j’invente, mais comme on n’a pas eu le fin mot de l’histoire...), ils apprennent ce scandale, et avec tout le respect dû à la fameuse armée évoquée plus haut, décident, contre vents et marées, de remplacer Manowar le vendredi soir. Malheureusement, ayant tout donné la veille, le chanteur se retrouve littéralement sans voix. Que faire alors ? Le public chante, le chœur aussi, mais ça ne suffit pas. Alors les guitaristes, pourtant pas très à l’aise avec les paroles et le chant en général, se chargent de la mission de suppléer Joakim Brodén. Contre toute attente, ils s’en sortent très bien, devant une foule émue, reconnaissante, chantant à tue-tête pour les soutenir, en s’inspirant (pour ceux qui ne les connaissaient pas) des paroles affichées en fond sur le grand écran. Merci, donc, au groupe Sabaton, d’avoir sauvé le vendredi soir et prouvé que même lorsque l’on est célèbre, on n’a pas peur de se jeter dans un concert sans avoir toutes les clés pour le réussir. Seul problème pour ceux qui ont acheté le t-shirt officiel de cette année (vous savez, celui avec la programmation dans le dos) : eh ben il est faux ! Le nom du groupe Manowar est inscrit fort visiblement en haut à gauche, et malgré nos recherches frénétiques au Merch, nous n’avons pas trouvé de patch « Sabaton » de la bonne taille pour le recouvrir…
Pour moi, cette soirée sous le signe de Slipknot est une réussite. Sabaton, Behemoth, Powerwolf, Amon Amarth ! Les notes les plus épiques portent les voix profondes de ces géants de l’Est et du Nord. Surtout, LE viking Johan Hegg me rend berserk* après à peine deux phrases, comme à chaque fois. Un headbanging* énergique et frontal s’empare de moi… Il n’a manqué au Knotfest que de présences féminines qui puissent soutenir la comparaison.
[Slipknot] Lorsque vient le groupe Slipknot, nous regrettons un brin notre placement peu stratégique mais néanmoins empathique (je ne sais plus exactement pourquoi, mais pour les découvreurs de metal du jour, c’était mieux). Nous sommes en face de la Mainstage II, et Slipknot joue sur la I. Fort heureusement, je loue et louerai encore jusqu’à mon trépas les merveilleux techniciens son et lumière, ainsi que les millions de metalleux qui, par l’achat de leurs pass, hectolitres de bières et autres produits dérivés, sans oublier le don de soi des plus de 1000 bénévoles du festival, nous permettent de jouir (oui, oui, c’est le mot) d’écrans suffisamment grands pour que l’on voie les gouttes de sueur couler sur le front de Corey Taylor depuis la Tour Eiffel, et d’une sono suffisamment puissante pour que les honnêtes habitants de Gétigné (commune voisine de Clisson) connaissent les joies de l’insomnie pendant 4 jours. Bref, Slipknot de biais c’était quand même bien trash, et les masques toujours plus « inventifs », ainsi que le jeu de scène du groupe en général, n’ont pas déçu les amateurs de spectacle. Le masque de Corey Taylor, en particulier, m’a interloquée une bonne partie du concert : rien de sanguinolent, pas de clous ou autre fil barbelé planté dans la chair, juste l’impression que le chanteur était en pleine réaction allergique violente après l’ingestion d’un aliment qu’il aurait dû se passer de manger, le faisant ainsi ressembler à une espèce de crapaud décoloré en période de reproduction… Je vous laisse imaginer, plutôt dégueu !
Le Hellfest nous accueille le lendemain, déjà presque un peu éventées, sous les meilleurs auspices. Le début de journée est éminemment décalé, sans prétention, rien de tel pour s’emplir d’une joie grisante : c’est Gloryhammer devant la Mainstage, sur les refrains accrocheurs – parodiques ? – desquels je m’égosille copieusement, tandis que Trollfest, tribu bariolée de Norvégiens déguisés en princesses Disney, nous fait entamer sous le Temple la plus interminable chenille humaine que j’aie jamais vue. Cette franche camaraderie bondissante se prolonge en circle*, puis mosh pit*, ça y est, je suis dans le bain, je congratule mes frères et sœurs d’élection, c’est notre fête.
Elle a ses temps morts comme toutes les fêtes, et en l’occurrence, ceux-ci prennent souvent la forme de groupes de métal progressif*… Sonata Arctica, Dream Theater, l’interminable et pompeux Tool le dimanche soir : le prog* en live est d’une fadeur !
[Dagoba] Pour nous, Dagoba en concert n’était pas une première (WarmUp du Hellfest à Limoges oblige), et, comme pour Slipknot, nous les avons vus de biais (encore plantées devant la mauvaise scène, mais quel manque d’organisation !). Cela ne m’a pas empêchée de m’extasier une fois encore sur la beauté du chanteur (oui, bon, ça fait groupie, mais avouons qu’il n’est pas dégueu du tout ce garçon !). Le groupe connu intergalactiquement pour ses Wall of death* gigantesques a lancé le défi à la foule d’en faire un plus gros encore, ce qu’elle a consciencieusement essayé de faire mais, comme on était de biais, on n’a pas bien vu si le pari était réussi. En tout cas, avec Dagoba, l’ambiance est toujours au rendez-vous : si votre soirée d’anniversaire vire à la catastrophe en forme d’ennui mortel, un coup de fil à ce groupe – français en plus, donc pour communiquer c’est pratique – et même le poisson rouge enterré au fond du jardin renaîtra pour headbanger* toute la nuit !
[Dropkick Murphy’s] J’ai honte mais je l’avoue, je n’ai pas grand-chose à dire sur Dropkick Murphy’s, que j’attendais pourtant avec une impatience folle. À mon grand désespoir, je me suis rendu compte, ce soir du 21 juin 2019 en la place de Clisson, que je connaissais très peu de leurs morceaux ! Et pour ma défense, ils n’ont pas spécialement joué les plus connus. Donc, pour ce concert, un bon esprit, du rythme, du celtique, mais, outre mon ignorance des morceaux, le sentiment que l’ambiance aurait pu être 666 fois plus enflammée. Je n’étais peut-être pas la seule à en attendre un peu plus ?
[La trans] Avec ses plus de 150 000 festivaliers, le Hellfest est, bien évidemment, le lieu de toutes les rencontres, qu’elles soient furtives ou plus marquées, insolites ou complices, et cette année, nous en avons fait une qui nous a à la fois confortées dans l’idée que le public des metalleux était riche et divers, mais aussi un peu déçues quant à son ouverture d’esprit et sa tolérance. Je m’explique : comme dans la plupart des festivals, nombreuses sont les personnes déguisées en tout et n’importe quoi, des Pokémons aux guerriers Vikings en passant par les licornes et autres costumes parfois difficiles à identifier. Lors d’un concert, nous étions placées derrière une jolie fillette d’un mètre quatre-vingt-cinq, ongles roses, robe et sac à dos dans les mêmes tons, tétine alternant avec la cigarette électronique dans la bouche, couettes de cheveux gris et barbe assortie. Tout le long du concert, elle s’est fait lourdement emmerder, pardonnez-moi le terme, par un type au taux d’alcool plus que raisonnablement élevé. À la fin du concert, nous décidons d’engager la conversation, un peu intriguées par ce personnage et désolées pour elle qu’un boulet lui ait gâché le concert. Elle nous explique alors que c’est son lot tout au long du festival, et son discours est d’ailleurs largement illustré au cours de notre conversation par des personnes qui lui touchent les fesses et les seins en passant, et se vexent lorsqu’elle les envoie sur les roses. Le problème, c’est que tous pensent que c’est un homme déguisé en femme, alors que non, c’est une femme, juste née dans la « mauvaise » enveloppe corporelle, si on peut maladroitement dire ça comme ça. Bref, si le Hellfest est réputé pour sa bienveillance entre festivaliers, reste encore à faire comprendre au plus grand nombre que la transsexualité n’est pas une histoire de déguisement et que, costume ou pas, trans- ou pas, respecter le corps de l’autre reste une nécessité.
[Mass Hysteria] Croyez-le ou non, voici encore un groupe dont je parlerai peu pour cause, à nouveau, de placement de biais dû à notre planning qui ne tombait pas toujours idéalement pour tout voir ! Mass Hysteria, donc, est un groupe que j’aime beaucoup, à la fois pour sa musique, son énergie et son état d’esprit. Avec sa voix de punk, le chanteur scande des messages tous plus beaux les uns que les autres, sur la liberté, la tolérance, et nous retiendrons d’ailleurs cette année la phrase qu’il a clamée : « Quand je dis : nous sommes positifs à bloc, c’est parce que Clisson, qui est quand même, le Hellfest, le plus gros festival de France, sinon d’Europe, il n’y a jamais de bagarre chez nous ! ». Un peu d’exagération quant au « classement » du festival, mais que de vérité quant au constat du pacifisme de son public !
Vendredi soir, grisées par une deuxième-première-journée au cœur des vignes, nous apercevons depuis l’Easy Camp les lueurs moirées d’un feu d’artifice plein de panache, les oreilles cotonneuses, l’esprit cathartiquement repu.
Au « petit » matin suivant, les Mainstages semblent toutes changées avec leur fosse goudronnée encore déserte. L’occasion d’observer plus à loisir le fameux écran continu le plus long du monde, qui, selon mon appréciation fort subjective, paraît plutôt superflu – les coins intérieurs ne sont jamais exploités ! une batterie de douches chaudes avec un débit raisonnable n’eût-elle pas été un investissement plus opportun ?
Mais les Australiens de Like a Storm soufflent un vent de didgeridoo et de jeunesse-cheveux-au-vent, qui se marie ma foi fort bien avec un métal matinal.
[Banane Metalik] En allant voir un groupe avec un nom comme Banane Metalik, un samedi à 11h dans la Warzone, il fallait s’y attendre : réveil pêchu garanti ! Ce groupe français très friand de chair humaine nous a livré une véritable explosion musicale sur fond de camisole, ossements balancés dans le public et giclements de sang, jeux de mots spécialisés dans le cannibalisme… une chouette découverte, qui met bien dans l’ambiance pour la journée !
Il est impossible de ne pas entendre en Eisbrecher un wanna-be (ou plutôt, will-sein) Rammstein, avec ses saveurs d’indus’* martial et métallique accompagnées d’une grosse voix en allemand, mais après tout, ça passe bien, et ils jouent à fond sur le parallèle avec les Kaiser : là où Rammstein est de feu, Eisbrecher (littéralement : le brise-glace) est de givre, souligné en arrière-plan par un grand ours polaire nageant, dont de petits avatars en peluche seront distribués à un public séduit.
Car ce qui nous fait tenir la distance, public éprouvé par des litres de groupes s’enchaînant du matin au soir (nous aurons apprécié plus de trente shows cette année encore), c’est d’être sollicités, impliqués dans ce qui se passe sur scène – ce sont là les limites d’un prog* souvent trop distant. Un black symphonique* et théâtral comme celui de Cradle of Filth – dont je n’ai malheureusement pas bien profité car le son était un brouhaha quasi indistinct dans la partie du Temple où je me tenais – ou, mieux, Carach Angren, fonctionne à plein : guitariste et bassiste se tenant sur des plateformes qui se meuvent de haut en bas jusqu’à un surplomb du plus bel effet ; vocaliste épileptique et fascinant ; corpse paint* de rigueur ; corps de femme factice qu’ensanglante copieusement le chanteur de son couteau ubuesque, après avoir sollicité nos encouragements… Parce que c’est pour de faux, le bon vieil Aristote dirait que c’est bon pour nos âmes !
[Within Temptation] Un peu de douceur dans ce monde de brutes… Je trouve que cette phrase définit bien le concert livré par Within Temptation, où les sourires sincères de l’énergique et lyrique Sharon den Adel ont su séduire les durs à cuire comme les plus nounours d’entre les metalleux et metalleuses. La qualité de l’interprétation y était, la voix de la chanteuse inchangée avec le temps, un savant mélange de beauté majestueuse et de brutalité maîtrisée parfaisait le tout… Et il faut (malheureusement !) le souligner, c’est une femme – et ses acolytes bien sûr – qui lance avec brio la soirée du samedi !
C’est déjà samedi soir, la nuit tombe et les jeux de lumières se lèvent, de la forêt où les arbres se colorent de roses, bleus, verts, aux boutiques de boissons et de merch’ qui crachent des panaches de feu et où se révèlent les énormes boules fumantes et luminescentes.
Architects entre en jeu à la dernière gorgée de la deuxième (troisième) journée. Leur metalcore* m’envahit d’un headbang* par secousses syncopées, l’esprit vagabond, les cheveux frôlant le sol. On ne headbang* pas pareil sur du metalcore*, du death mélodique* ou nu-metal*. Le corps ne s’y trompe pas.
[Embryonic Cells et Hyrgal] C’est avec du black metal* français que nous décidons d’entamer notre dernière journée de festival. Il règne une ambiance presque feutrée, intime, sous le Temple et l’Altar, où l’herbe fatiguée d’être piétinée transpire et livre à ses premiers bourreaux matinaux une odeur de foin un peu moisi (enfin c’est ce que ça m’a évoqué mais je suppose que quelqu’un qui n’a jamais ouvert de botte de foin mal séché avant d’être enrubanné n’aura pas pensé à la même chose). Nous enchaînons tranquillement, parmi une petite assemblée de festivaliers éparpillés près des barrières de sécurité, au pied des artistes, les groupes Embryonic Cells et Hyrgal. Parfaits pour réveiller nos neurones de metalleuses, ces groupes nous font oublier un instant ce que notre corps nous rappelle haut et fort : c’est la dernière journée, oui, c’est triste, oui, nos pieds auraient pourtant supporté… Non, en fait, mes pieds n’en peuvent plus, et, en écoutant ces groupes, je me laisse bercer par le sentiment mitigé mais agréable d’avoir encore une merveilleuse journée de concerts devant moi mais que c’est la dernière que j’imposerai à mes pieds et mon dos qui commencent à me détester sérieusement (ça fait déjà trois jours, avec le Knotfest ! Debout de 9h à 3h avec de rares pauses sur notre séant, ça fait… bref je vous laisse calculer !).
Le dernier jour s’évapore déjà sous la chaleur. Les torses musclés et tatoués se découvrent plus que jamais et les festivaliers bouchonnent sous le bienfaisant rideau de rosée artificielle dispensé par une grande arche. Je participe à cette danse de la pluie en maillot de bain, ravie.
Les arômes épicés de Cemican viennent démontrer s’il en est besoin que musique traditionnelle mexicaine et heavy metal se marient à merveille. Le chanteur-chaman a d’innombrables coiffes d’Indien, plus chamarrées et envoûtantes les unes que les autres.
L’après-midi, la chaleur atteint son point culminant avec Trivium. Trivium… un groupe de mon adolescence que j’attends avec impatience et qui ne me décevra pas, et qui nous emmène tous, pieds et membres épuisés, dans une séance de jumping* unificatrice.
[Trivium] Trivium, Trivium, Trivium… Que dire, sinon que c’était super, et en disant ça on ne dit rien, donc que dire d’autre ? En fait c’est difficile, j’aime beaucoup ce groupe, et je n’en attendais pas moins d’eux que ce qu’ils ont fait : un show énergique, de la communication avec le public, un savant mélange de morceaux attendus et moins attendus, et un chanteur bien plus sexy en live que sur les photos ! Bon là, on ne peut pas faire plus subjectif et groupie, mais j’ai été assez médusée par son charme… Suis-je la seule ?
[Skáld] Je ne connaissais pas le groupe SKÁLD (ben quoi ? Si, pourtant, je vis sur cette planète, hein), et quand j’ai vu la foule se masser dans le Temple au point de commencer à ressentir une légère oppression (c’est vous dire, pourtant je commence à avoir l’habitude !), je me suis dit : ça va être un truc de ouf ! Eh bien… Non ! Enfin, le public avait l’air ravi, mais moi, je me suis ennuyée assez sérieusement. Était-ce à cause de mes pieds qui me faisaient souffrir – et pour lesquels nous avions décrété que, lorsqu’on ne les sentait pas, c’était que le concert était bien, du moins assez pour nous les faire oublier – ou parce que les membres du groupe semblaient se prendre pour des demi-dieux ? D’accord, beaucoup de groupes de black ou death metal le font, mais on a l’habitude ! Là, j’ai vu apparaître un groupe aux airs folkloriques, jouant très (très, très) lentement d’instruments plus fascinants les uns que les autres… entre eux ! Comme si le public n’était là que pour les admirer, mais pour moi ce n’est pas l’esprit qui convient à ce genre de groupe, ni à ce festival. Encore une fois, c’est assez subjectif, mais vous l’avez compris, ce concert ne m’a vraiment pas emballée !
[Carpathian Forest et Deicide] Pour finir le Hellfest en beauté, rien ne valait une bonne session de headbanging* sur du death metal* au rythme déconseillé aux épileptiques. Après un échauffement de mes cervicales sur Carpathian Forest (un black metal* bien énervé dont les rythmiques frôlaient le death*), me voilà devant Deicide, enfin un peu en retrait sur le côté mais pas trop loin de la scène quand même sinon c’est pas drôle, surtout qu’il y avait de la place. À ce propos, il y en a eu de plus en plus autour de moi : mon cerveau s’est déconnecté du monde réel pour s’accrocher au rythme de Deicide et exiger (oui, c’est le mot !) de mon corps qu’il le suive comme il pouvait, jusqu’à ce que le concert se termine. Résultat : un épuisement agréable, le cerveau vidé, un espace de trois mètres de rayon respecté par les autres festivaliers autour de moi – par peur de se prendre un coup de tête ? - l’idéal pour aller ensuite s’asseoir dans l’herbe avec une bière en se demandant ce que ce groupe étrange fait au Hellfest (Tool…???) et finir la soirée à rire aux éclats en lisant des articles de « provocshellfestcasuffit » !
Ce n’est pas sur le soporifique Tool, à n’y rien comprendre, assises dans l’herbe, hébétées par ces quatre jours intenses, mais complices comme toujours, que j’aimerais conclure. C’est sur l’incroyable claque auditive que j’ai dégustée alors que je ne m’y attendais pas, dimanche soir, au fond d’un Temple pas si plein, à un endroit où l’acoustique était tout simplement parfaite, comme fait exprès, pour me permettre d’apprécier le calice de blast beats* ciselés, de solos d’une précision, d’harmonies d’une subtilité incroyables : Emperor.
Avec une telle note persistant en bouche (en oreille), on peut le cœur presque léger dire adieu à sa tente en carton sous une pluie très clissonnaise, un lundi matin, veille d’oraux de bac.
J’espère que vous aurez apprécié cette chronique à deux mains gauches, au bout desquelles deux sœurs, de métal et pour de vrai, se sont relayées sur cet humble blog pour vous conter le millésime Hellfest 2019.
C. & G.
*Lexique pour Maman :
- Easy Camp : au Hellfest, espace réservé aux détenteurs d’un billet donnant accès à une tente en carton recyclable ou un tipi, des sanitaires à part et quelques installations (sèche-cheveux, prises, fauteuils…).
- berserk : état de transe et de puissance décuplée dans lequel entrent les guerriers possédés par l’esprit d’un animal (ours, sanglier, loup…).
- mosh pit (mosher, mosheu.r.se) : proche du pogo, « danse » musclée qui se forme dans un cercle à quelques mètres de la scène, où les participants se jettent épaules et bras en avant, les uns contre les autres.
- « prog », ou progressif : Sous-genre du métal qui pousse à l’extrême la complexité rythmique et l’expérimentation technique.
- wall of death : pratique qui consiste à séparer la foule en deux pendant un concert, puis, sur un signal, les deux côtés courent l’un vers l’autre, vers un impact qui se termine généralement en mosh pit.
- black sympho(nique), version accompagnée de chœurs et d’orchestrations, généralement plus mélodique, du black(-metal) : sous-genre de métal extrême caractérisé par la rapidité de la batterie, une atmosphère sombre et souvent sanglante, et un chant saturé en voix de tête.
- corpse paint (littéralement : peinture de cadavre) : maquillage de scène blafard, blanc agrémenté de zones noires ou rouges, utilisé notamment par les groupes de black metal des années 80.
- metalcore : Sous-genre hybride de métal et de punk-hardcore, caractérisé par une simplicité mélodique et une alternance de chant clair et « screamé ».
- death mélodique : sous-genre né en Scandinavie, dérivé du death metal, qui en conserve le chant saturé grave et la brutalité mais l’adoucit, comme son nom l’indique, par des mélodies très audibles, voire accrocheuses.
- jumper, jumping : de l’anglais « to jump », sauter. Sauter sur place, en rythme, lors d’un concert.
- death (-metal) : sous-genre de métal extrême caractérisé par la brutalité de l’exécution et des thématiques, la rapidité du tempo et un chant saturé guttural, grave.
- blast beat : technique de batterie qui enchaîne les doubles-croches à un tempo élevé, donnant une impression de saturation du rythme.