The Great Old Ones – EOD: A Tale of Dark Legacy

The Great Old Ones – EOD: A Tale of Dark Legacy

         Voilà presque trois mois que je n’ai pas publié de chronique, prise dans un tourbillon d’activités professionnelles et universitaires… Honte sur moi ! Je vais me rattraper aujourd’hui et dans les semaines à venir, c’est promis. Au programme : le weekend prochain, un Hellfest qui me laissera l’embarras du choix en termes de live reports*, qui plus est pimenté de deux entrevues obtenues pour mes recherches, avec The Great Old Ones d’une part et Septicflesh d’autre part, dont je ne manquerai pas de vous rendre compte !

            Même si ce n’est pas une sortie toute fraîche, j’ai décidé de joindre l’utile (la préparation de mon interview) à l’agréable, en vous livrant une petite chronique du dernier album de The Great Old Ones (TGOO) justement, sorti en 2017.

            À cette occasion, j’ai pu – le groupe est jeune – me réécouter l’intégralité de leur discographie, et je dois dire que c’est une expérience carrément inspirante – transcendante, j’ose le mot. Le groupe bordelais a choisi comme quasi exclusive source d’inspiration l’œuvre iconique, sombre et inquiétante d’H.P. Lovecraft, qui habite déjà ponctuellement les titres des plus grands noms du métal. Le nom du dernier album de TGOO, EOD: A Dark Tale of Legacy, est pour le moins intrigant. Très vite, j’ai deviné que les initiales font référence à l’Esoteric Order of Dagon, ce culte secret sacrificiel dédié aux Grands Anciens (divinités ancestrales monstrueuses qui ont donné son nom au groupe) mentionné dans The Shadow over Innsmouth (1931), l’un des plus célèbres romans lovecraftiens.

            Justement, après avoir « Recherché R. Olmstead », le narrateur du roman, dans l’introduction de l’album, qui ne dure que quelques secondes, on plonge dans « The Shadow over Innsmouth ». J’emploie « plonger » à dessein, et vous pardonnerez le vocabulaire abyssal que je ne pourrai m’empêcher d’utiliser pour parler de cette musique, sans qu’il s’agisse de jeux de mots vains fondés sur le caractère maritime des monstres anciens, mais bien par nécessité. Il y a comme une lame de fond lente et oppressante qui sous-tend l’ensemble du morceau, tandis que les différents mouvements alternent distinctement entre rage – la première partie, toute en blast beat* et ruptures rythmiques incroyables mais qui reste très mélodieuse avec son leitmotiv audible bien qu’étouffé –, calme instaurant un suspens insoutenable – comme au cœur du morceau, avec ces notes tenues interminables – et action dans l’avant-dernière phase, qui a quelque chose de symphonique et d’épique. J’ai ma petite théorie sur cette progression du morceau, mais je veux la soumettre à son créateur lui-même, puisque je vais en avoir l’opportunité, avant de la formuler.

            « When the Stars align » est plus céleste (logique, me direz-vous), avec ses nappes mélodieuses enveloppées par la voix saturée de Benjamin Guerry. Les noms des Grands Anciens y sont cités dans une invocation envoûtante. Comme les titres sont décidément très parlants, le morceau suivant, « The Ritual », a quelque chose de tribal avec sa percussion initiale, puis l’atmosphère revient à un black-prog* homogène avec le reste de l’album.

            La fin de l’album comporte des atouts majeurs. « Wanderings » est une brève narration qui réécrit des passages du récit lovecraftien, à l’image des morceaux « Je ne suis pas fou » et « Awakening » sur l’album précédent, Tekeli-Li – sauf que le conteur parlait alors français, ce qui y ajoutait selon moi une originalité charmante. « In Screams and Flames » est toujours cohérent avec l’ensemble, planant, flippant, ultra-technique – inattendu solo de guitare aux accents jazz dans la dernière minute –, avec un riff* sublime, et je recommande la lecture des lyrics* particulièrement travaillés : il faudrait dire « des vers », pour leur rendre justice.

The smell of burned flesh invading my head

Screams mingle with grunts from outer space

Escaping Azathoth in bloodshed

I run again and again out of this cursed place**

         Je ne vous infligerai pas un commentaire littéraire ici, mais je pourrais ! J’évoquerais les rimes alternées, les chaînes d’allitérations en [k]/[g] et [r], proches du borborygme inouï des Grands Anciens, l’emprise cauchemardesque de la répétition du dernier vers et la concordance des termes « screams* » and « grunts* » avec la performance effective du vocaliste… Ce morceau est un de mes coups de cœur.

            Génial aussi, « Mare infinitum »  – déjà, un titre en latin, ça me fait toujours son petit effet – avec son intro au violoncelle et sa rigueur classique au rythme effréné – infini.

            La petite dernière, « My Love for the Stars (Chtulhu Fhtagn) », par son titre, son caractère essentiellement instrumental (à l’exception de quelques incantations murmurées) et doux, où les gammes de guitare se détachent aériennes, n’est pas sans évoquer, de manière assez évidente, « The Call of Ktulu » de Metallica. Même source d’inspiration, même type de mélodies, mais trente-trois ans après, la rythmique est plus apaisée, plus sophistiquée aussi, la guitare seule, dépouillée de toute saturation, dessine un monde profondément contemplatif et pessimiste.

            Entre écrire un morceau rendant hommage ponctuellement à un auteur, et lui consacrer l’ensemble de sa production, il y a un monde, une démarche tout autre. Ici, c’est l’atmosphère de l’album, sa composition, son empreinte sonore même qui sont lovecraftiens. Je suis prête à parier que Howard Philip himself reconnaîtrait en cette œuvre et les précédentes de The Great Old Ones la marque de ses véritables alter ego musicaux.

 

 

*Lexique pour Maman :

- live report : en anglais, reportage en direct.

- blast beat : technique de batterie qui enchaîne les doubles-croches à un tempo élevé, donnant une impression de saturation du rythme.

- black-prog : mélange de black(-metal) (sous-genre de métal extrême caractérisé par la rapidité de la batterie, une atmosphère sombre et souvent sanglante, et un chant saturé en voix de tête) et de « prog », ou métal progressif (sous-genre du métal qui pousse à l’extrême la complexité rythmique et l’expérimentation technique).

- riff : Motif musical joué par la guitare qui est à la base d'un morceau de métal.

- lyrics : texte, paroles d’une chanson.

- scream, screamer : (littéralement "cri") Terme général pour désigner le chant saturé/guttural utilisé dans le métal extrême.

- grunt : (littéralement : ‘grognement’) Chant saturé et guttural grave utilisé dans le métal extrême.

 

 

**L’odeur de chair brûlée envahissant ma tête

Des cris se mêlent aux grognements venus de l’espace

Fuyant Azathoth [NDLT : divinité de l’espace] dans un bain de sang

Je n’en finis pas de courir hors de ce lieu maudit…

Azathoth

Azathoth

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