Thyeste de Sénèque par la Piccola familia
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Thyeste de Sénèque, par Thomas Jolly et la compagnie Piccola familia
Ce petit article a des airs de hors-série, mais il n’a rien d'hors-sujet ! Hier soir, au théâtre de l’Archipel à Perpignan, la mise en scène de cette pièce latine m’a purement scotchée et je n’ai qu’un mot pour traduire mon impression d’ensemble : c’était carrément métal !
Prenez l’histoire, totalement dérangeante, qui ferait frémir les créateurs de Game of Thrones : ce sont deux frères, les fils de Tantale, qui se haïssent ; Atrée surtout, imagine la vengeance la plus terrible qu’un esprit (in)humain ait conçue, contre son frère Thyeste qui lui a volé sa femme et son trône par le passé. Il feint la réconciliation, mais sacrifie rituellement les propres enfants de Thyeste et, lors d’un banquet en l’honneur de leur fraternité retrouvée, il les lui fait manger… Des thématiques on ne peut plus death metal* et autre goregrind*… Le récit du démembrement des victimes par la Messagère est insoutenable (Cattle Decapitation n’a qu’à bien se tenir !) et la scène du repas, entre bouches teintées de sang et hoquets d’horreur, parfaitement écœurante.
Prenez maintenant la mise en scène. Grandiose : le décor est dominé par les monumentales tête, statufiée dans une expression de terreur, et main, tendue vers l’objet du supplice – et vers nous – de Tantale, renversées sur le côté, qui culminent jusqu’à quatre mètres de haut. Des cordes les entourent et, comme nous le découvrirons plus tard, des guirlandes de lumières blanches. L’atmosphère est lourde, chargée d’une fumée diffuse. Les premières scènes vous glacent vraiment le sang : Tantale semble une chose visqueuse et verdâtre qui vous regarde comme un possédé, tandis que la voix rauque quasi saturée de la Harpie prononce une sentence avec une force implacable. Des créatures sournoises se faufilent sur les éléments du décor, avec leurs visages grimés façon corpse paint* d’où pendouillent des lambeaux rouges.
La seule entorse est l’originalité (un peu forcée ?) de la comédienne récitant sous forme de rap le texte du Chœur (mais après tout, le métal se marie bien avec le rap, n’est-ce pas ?). De la musique, il y en a aussi en ouverture notamment, orchestrale, flippante, façon black sympho*. Il y a des jeux de lumière esprit metal indus*, des costumes baroques inquiétants à la Fleshgod Apocalypse, et l’ensemble est sombre, noir, définitivement dark. On redécouvre la noirceur de l’apparemment inoffensif Sénèque.
On reste pétrifié pendant deux heures trente, horrifié, mais aussi subjugué par le jeu habité des comédiens qui vous hante d’un malaise durable… pour une fois, amateurs de métal, au lieu d’un concert : allez au théâtre !
*Lexique pour Maman :
- death (-metal) : sous-genre de métal extrême caractérisé par la brutalité de l’exécution et des thématiques, la rapidité du tempo et un chant saturé guttural, grave.
- corpse paint (littéralement : peinture de cadavre) : maquillage de scène blafard, blanc agrémenté de zones noires ou rouges, utilisé notamment par les groupes de black metal des années 80.
- métal industriel ou indus : Sous-genre du métal qui utilise des synthétiseurs et une musique symétrique, puissante et répétitive.