Cradle of Filth, « Achingly beautiful », Lyric vidéo, nouvel album, et peu importent les critiques !

             Il y a des groupes que l’on reconnaît au bout de quelques notes à peine. Cradle of Filth* en fait partie. Beaucoup reprochent à ce groupe son succès commercial (qui l’exclurait de facto du confidentiel black metal*…), son manque de renouveau ou le fait qu’il repose exclusivement sur la personnalité de Dani « Filth », frontman* et seul membre permanent du groupe depuis sa fondation. Bref, Cradle of Filth, c’est pas « trve »* !

            Peu m’importe. J’ai ressenti quelque chose d’intense et indescriptible dès la première fois que j’ai entendu ce groupe, et plus particulièrement la voix de Dani, et depuis, cela n’a jamais cessé. Je dois mettre en garde mes lecteurs non-initiés : ce qu’il a de particulier dans sa manière de chanter, c’est un cri aigu transperçant qui vient ponctuer son chant saturé-chuchoté, un cri que vous trouverez peut-être douloureux pour vos fragiles oreilles. J’ignore pourquoi, alors que beaucoup le critiquent, moi, je le trouve beau. « Achingly beautiful »*.

            En 2017, cette voix est toujours là et me transperce toujours jusqu’au cœur. Cradle of Filth sort Cryptoriana (The Seductiveness of Decay) le 22 septembre. Une fois encore, chroniquer l’album complet ne m’inspire pas, alors je me concentrerai sur un morceau : « Achingly beautiful », justement. Un mot tout de même sur l’album : il est homogène, sans surprise certes, mais magistral. Ambiance horreur gothique, chœurs mystico-sataniques et tonalités reconnaissables entre toutes sont au rendez-vous.

Le ténébreux Dani Filth

Le ténébreux Dani Filth

            Le label Nuclear Blast a produit un clip officiel avec les paroles de la chanson (« Official lyric video »). Ecoutez donc le morceau ici, sans oublier de regarder la vidéo qui les met en scène :

    J’aime ce concept de « lyric video ». Je dois avouer que les clips à proprement parler, comme celui de « Heartbreak and Seance » également sur ce nouvel album, ont tendance à me perdre, à me détourner de la musique, à m’en donner une vision toute différente de celle que j’en avais à l’origine, et parfois décevante. J’ai eu du mal à adhérer à l’ambiance très kitsch et au scénario tortueux, à base de noces funèbres, de Blanche-Neige et de (vraie) neige qui tombe sur les musiciens pendant tout le clip, du morceau précité. Pour « Achingly beautiful », seulement quelques bougies, alternant parfois avec un ciel de pleine lune, quelques images presque subliminales et surtout le texte, sur un livre un peu ancien comme je les aime. Les mots défilent parfois avant de se fixer, et l’on a l’impression que les paroles font partie d’un tout plus vaste, d’un texte préexistant un peu occulte dont on n’aurait ici qu’un aperçu que Cradle se chargerait de nous révéler. Délicieux pour l’amoureuse de littérature que je suis, fascinée par le pouvoir de certains ouvrages perdus. Comme pour confirmer cette impression, « Cryptoriana », le titre de l’album (et non du morceau) apparaît en haut de la page que l’on lit, là où figure généralement le nom du chapitre.
    Parmi les mots qui défilent trop vite, l’un d’eux, qui n’est pas prononcé avant la fin du morceau, s’imprime tout de même dans la rétine à plusieurs reprises : « Lorelei ». Cette créature magnifique qui a fait mourir tant de marins subjugués par sa beauté dans la légende germanique... Je ne peux m’empêcher de penser aux premiers vers du poème « Die Lorelei » de Heinrich Heine, mélancoliques à souhait ; voilà une créature qui est précisément « achingly beautiful ». Et toute la chanson est imprégnée de termes et de références littéraires variés, mais tous très accordés à l’univers de Cradle : « sonnet », « tragedian », « sublime », « metaphor », « Ophelia » (personnage de Hamlet), « grandeur », « wonderland » (comme le pays d’Alice), « Lorelei » enfin… un univers de poésie française, de littérature gothique parfois un peu pêle-mêle, mais où le texte lui-même est travaillé, comme dans la paronomase* « Death is fleet, sweet, oft discreet » (La Mort est leste, douce, souvent discrète) de l’avant-dernier « vers », aurais-je envie d’écrire. Les formulations sont volontairement désuètes (« She was a flame, divine »), à l’image des bougies tremblotantes auprès du grimoire.
    La musique, à présent : j’y retrouve tout ce que je recherchais. L’intro a des intonations légèrement orientales, sur une voix très profonde, puis s’ensuit le cri – CE cri – de Filth dont j’ai déjà parlé. Le vocaliste aux potentialités multiples enchaîne ensuite avec un chant saturé assez aigu, qui se prolonge à nouveau en cri déchirant. Derrière, cavalcade de batterie à contre-temps accompagnée d’un son d’orgue du plus bel effet. À 1mn10, une voix de femme douce et profonde intervient, rappelant la figure féminine obsédante et maléfique qui domine la chanson. Ensuite, des chœurs discrets viennent souligner avec solennité les paroles et la saturation du tempo. Certains passages du chant de Dani sont plus rapides, quasi parlés. Ils sont contrebalancés par les chœurs mystiques féminins, comme à 2mn10. À 3mn00, on est surpris par un intermède aérien qui sonne comme une boîte à musique, bientôt accompagné du retour des chœurs : effet (très connu) de « Beauty and the Beast »* avec le retour de la voix de Dani. Un solo de guitare au milieu des tombes se déroule à partir de 5mn00, faisant un peu de place aux autres membres du groupe. Et toujours, un cri infernal, un orgue un peu discordant et une batterie à contre-temps – ou pas, à la fin par exemple, et tout le plaisir est dans cette alternance. La chanson s’achève et me laisse hors d’haleine.
    Cradle of Filth, c’est éminemment baroque, aussi bien par la musique et le chant « chargés » que par l’imagerie : pétales qui ont chu, larmes sur le papier, à moins que ce ne soit la cire des bougies qui se consument, squelette et crâne, tombes, dragon, phrases en latin… Un memento mori douloureusement beau.

 

*Lexique pour Maman (et tous les autres !) :
- Cradle of Filth : littéralement, ce nom de groupe signifie « Berceau d’immondice » (mais ne les jugez pas !).
- black metal : sous-genre de metal extrême (donc non commercial...) caractérisé par la rapidité de la batterie, une atmosphère sombre et souvent sanglante, et un chant saturé en voix de tête.
- frontman, front-woman : Littéralement "l'homme/la femme qui est devant", leader du groupe, presque systématiquement le chanteur/la chanteuse.
- « trve » : prononcer comme le mot anglais « true », qui signifie vrai, fidèle (mais avec une grosse voix !). Qui ne se compromet pas dans la facilité, qui reste suffisamment « vrai » pour les fans de metal extrême.
- « Achingly beautiful » signifie « douloureusement beau/belle ».
- paronomase : figure de style qui rapproche des mots à la consonance proche.
- « Beauty and the Beast » : littéralement, la Belle et la Bête ; c’est le contraste souvent créé dans le metal entre une voix douce, féminine et une voix grave, caverneuse d’homme.

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M
Très bel article!
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K
Super bien écrit, très intéressante étude de cette oeuvre musicale décortiquée presque chirurgicalement par une passionnée! On aimerait cependant savoir quand eut lieu cette première fois, dont tu parles au début de l'article, qui t'a tant marquée (quelque chose d'intense et d'indescriptible...) ? Bisous et encore bravo!
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C
Merci ! Difficile à dire... Je n'arrive pas à savoir quand ni où c'était. En Allemagne peut-être, chez un metalleux ? Ou était-ce plutôt pendant mon année de Première avec ma "bande" ? Mais la voix m'avait tout de suite captivée, ça c'est sûr.
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