Rammstein – samedi 1er juin – Stade Cornella-El Prat, Barcelona

Hier kommt die Sonne*

 

           « Je suis sidérée… »

          Cette phrase, c’est la voix de mon accompagnatrice qui la prononce, encore et encore, à l’issue du spectacle monumental que nous venons de vivre en cette douce nuit du premier jour de juin. La phrase restera sans complément.

            Il faut dire que la présence de cette compagne était, sinon fortuite, du moins hautement expérimentale ! Quelques jours auparavant, devant la défection de mon partenaire de concert, j’avais décidé de l’inviter à le remplacer, elle qui n’est pas métalleuse, qui n’avait jamais entendu parler de Rammstein avant de me rencontrer, qui n’a pas été à un concert populaire depuis quelques décennies et qui n’avait aucune idée, à vrai dire, du nombre d’envieux que ferait sa présence dans ce lieu, à cette heure.

            Lorsque nous arrivons devant le stade du RCDE en cette fin d’après-midi, le soleil est encore haut dans le ciel. Tableau ordinaire, des hordes de gens en noir, essentiellement parés des armes du groupe allemand, s’avancent patiemment dans d’interminables colonnes d’accès aux entrées. Ordinaire pour moi, pas pour ma comparse : elle est surprise, inquiète peut-être, curieuse surtout. Je vois avec ses yeux ma « famille » internationale – qui parle espagnol, catalan bien sûr, mais aussi beaucoup allemand – comme si je les redécouvrais. L’individualisme anonyme, pudique et froid du monde normal a disparu. On ne se pousse pas, on ne se double pas. On se sourit, on s’interpelle, même si on ne s’est jamais vu. On se connaît déjà, au fond.

            À l’entrée, des stadiers distribuent des briquets floqués « Ohne Dich »*. Anticipation du moment d’émotion intense qu’engendreront ces petites flammes, ces quarante mille petites flammes.

            L’astre Rammstein ne se montre qu’une fois la nuit tombée. Commence une attente assez longue, mais comblée de temps à autre par des échanges verbaux avec nos voisins immédiats, en allemand, en anglais ou en français (que parlent plutôt bien plusieurs sympathiques Espagnols de mon âge). Nous sommes bien placées dans la fosse, à quelques dizaines de mètres de la scène, légèrement sur la droite. Pour mon accompagnatrice, plus petite que moi, tout est immense, le stade, les gradins, la foule qui se masse de plus en plus autour de nous, les verres à bière, le décor et le matériel monstrueux installés sur la scène. Mais oui, tout est immense. Comme en 2017, le spectacle est ouvert par le duo – de Françaises – Jatekok, qui revisite des morceaux de Rammstein au piano. Elles jouent sur une petite plateforme au fond à gauche de la fosse, bien loin de la scène, et la foule chante doucement les paroles. De quoi mettre mon amie dans de bonnes dispositions d’écoute. Quoique cela ne la prépare pas à l’intensité intergalactique du son du groupe allemand.

La scène avant le concert

La scène avant le concert

            LE concert commence par le titre plutôt calme « Was ich liebe »*, et pourtant, dès le premier accord guitare/basse/batterie, mon amie sursaute, vraiment. Moi, j’ai l’habitude d’être traversée ainsi par une onde qui vibre directement dans ma cage thoracique ; c’est dommage de s’habituer, de ne plus en avoir conscience.

            Comme à chaque concert de Rammstein, le spectacle est total, et éblouissant. Tous les membres de la galaxie existent, chacun leur tour, chacun à leur manière. Lancement des hostilités au début de « Was ich liebe » par Christoph, le batteur, dans une explosion super-héroïque. Pitreries de Flake qui joue du clavier sur un tapis de course, en combinaison dorée, ignifuge lorsqu’il est irradié par le lance-flamme de Till. Solo du bassiste « Ollie » sur le déchirant « Diamant » (j’ai failli pleurer). Remix de « Deutschland » par le DJ Richard élevé sur une plateforme surplombante, tandis que quatre de ses camarades dansent habillés de néons – moment très électro-pop. Et puis les deux guitaristes, Richard encore, et Paul, qui achèvent le riff d’« Ausländer » si proches qu’ils finissent… par s’embrasser sur la bouche ! Et enfin Till Lindemann. Omniprésent.

            Cette grande voix qui emplit l’espace, ce corps massif qui rayonne sur scène, et pourtant, il semble fatigué parfois, parfois ses traits s’éteignent, « un panda triste » dit mon amie, comme s’il portait un poids trop lourd. Pourtant tout est parfait, ses jeux de rôle qui ponctuent presque chaque titre, les décors somptueux et inquiétants comme ce landau habité par un bébé monstrueux qu’il enflamme sur « Puppe »*, le son pharaonique, et son contact avec le public, qui ne demande que ça, un champ de quarante mille fétus qui s’enflamme à la moindre étincelle de Till. « Je suis sidérée », me dit-elle, et les étoiles dans ses yeux reflètent non seulement la performance Rammstein, mais aussi la façon dont ils polarisent nos quarante mille yeux, bouches, cœurs, comme un seul être exalté mais dompté, qui est sidérante.

Rammstein sur scène

Rammstein sur scène

            La chaleur des flammes parvient jusqu’à nous, puis une pluie de confettis, suivie d’un phallique geyser de mousse ; c’est la joie extatique quand nous jumpons, les bras autour des épaules des voisins – « Are you ready? » m’a demandé un Espagnol timidement intéressé, juste quand débutait « Ausländer »* (« ¡mi amor!, ma chérie ! ») – la puissance universelle de « Du hast » ou « Ich will », l’émotion du rendez-vous non manqué de « Ohne Dich ». Après « Ausländer », joué depuis la petite scène comme un ring au fond de la pelouse sur lequel ils sont apparus comme par magie, les membres du groupe rejoignent le plateau sur des bateaux pneumatiques portés par la foule, qui parviennent à bon port. Le spectacle est d’une longueur généreuse, et pourtant il doit finir. Sur un dernier « Sonne »*, au piano, le soleil Rammstein se couche sur Barcelone.

            « Je suis sidérée… »

 

            Une chroniqueuse qui semble être moi a écrit il y a quelques semaines un article assez critique sur le dernier album de Rammstein – « vous savez ce que je pense des légendes vivantes (trop souvent des oxymores) », disait-elle, semblant présager le désastre. Cette chroniqueuse n’est plus. Elle a été remplacée par une fan inconditionnelle, qui écoute en boucle ledit album en oubliant peu à peu ses griefs avec une certitude en tête : Rammstein stirbt nicht*.

"Puppe"

"Puppe"

*Traductions :

- « Hier kommt die Sonne » : Voici le Soleil (paroles du refrain de la chanson « Sonne »).

- « Ohne Dich » : Sans toi (titre d’une ballade de Rammstein).

- « Was ich liebe » : Ce que j’aime.

- « Puppe » : La Poupée.

- « Ausländer » : Etranger.

- « Sonne » : Soleil.

- Rammstein stirbt nicht : Rammstein ne meurt pas.

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M
Articke super, prenant, ... sidérant! On aurait voulu en être!
Répondre
C
Merci :-) Une prochaine fois, peut-être ?!
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